"Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un enthousiaste; celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique.(...)
Il y a des fanatiques de sang-froid: ce sont les juges qui condamnent à la mort ceux qui n'ont d'autre crime que de ne pas penser comme eux; et ces juges-là sont d'autant plus coupables, d'autant plus dignes de l'exécration du genre humain que, n'étant pas dans un accès de fureur. (...)
Lorsqu'une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J'ai vu des convulsionnaires (...) qui s'échauffaient par degrés malgré eux: leurs yeux s'enflammaient, leurs membres tremblaient, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tués quiconque les eût contredits.
Il n'y a d'autre remède à cette maladie épidémique que l'esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les moeurs des hommes, et qui prévient les accès du mal; car, dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir, et attendre que l'air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes; la religion, loin d'être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. (...) Ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne.
Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage; c'est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l'esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu'ils doivent entendre.
Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant?
Ce sont d'ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains. (...) Si notre sainte religion a été si souvent corrompue par cette fureur infernale, c'est à la folie des hommes qu'il faut s'en prendre."
Voltaire, Dictionnaire philosophique (article "fanatisme").