LIVRES: (romans, oeuvres de fiction, BD...)
-Arsouille mentale: livre contenant trois essais que je possède en plusieurs exemplaires. Fiction très noire. Auteur: un inscrit de lyonmotard!!! (on attend la suite d'ailleurs!!)
Ouais ouais, je fais ce que je peux
Juste histoire de faire patienter, voici un extrait (y' a peut-être fes fautes de frappe, n'y faites pas attention, je corrigerai un de ces 4
) :
À bientôt soixante ans, la mère de Ben reste persuadée que tout là-haut, un être à l’intelligence supérieure ou un super ordinateur tire les ficelles, façonne les vies, et s’arrange donc pour que rien n’arrive par hasard. Aussi, lorsqu’en se rendant au marché ce dimanche matin, elle aperçoit la une du quotidien local glissée dans le présentoir devant la Maison de la Presse, elle est prise d’un vertige qui lui fait monter le rouge aux joues et lui affole le cœur au point qu’elle en échappe sa monnaie quelques instants plus tard en payant le journal. Ce n’est pas le titre écrit en énormes lettres capitales –
DISPARITIONS DE MOTARDS DANS LE RHÔNE : UN MILLIER D’ENTRE EUX SE REUNISSENT PLACE BELLECOUR – qui a retenu son attention mais une photo de la manifestation juste en-dessous. En fait, son regard a été comme aimanté par un visage noyé dans la foule. Alors que toutes les personnes sur la photo étaient de dos, sans doute pour écouter un orateur quelconque crier des revendications à l’autre bout de la place, une seule avait tourné la tête pour fixer l’objectif au moment précis où le photographe a appuyé sur le bouton, ce qui bien évidemment ne peut avoir qu’une signification : ce type-là sait quelque chose. Et en l’occurrence,
ce type-là se trouve être Ben. Aussi, à peine sort-elle de la librairie qu’elle prend son téléphone pour l'appeler. Elle craint de tomber sur la messagerie mais il finit par décrocher.
« Alors, qu’est-ce-que tu peux me dire ? » lui demande-t-elle sans même le saluer, trop excitée.
Il retient un soupir avant de basculer son portable en mode haut-parleur puis le pose sur l’établi tout en continuant à nettoyer ses outils.
Ce coup de fil, il s’y attendait. Sans réel intérêt, il a regardé la revue de presse de la chaîne-info ce matin, et il a retenu un juron quand la une du Progrès est apparue à l’écran, car il a compris à l’instant même que sa mère allait l’appeler si jamais elle tombait dessus. Et il n’a aucune envie de lui parler, ni de ça, ni d’autre chose. Depuis qu’il est redevenu célibataire, leurs rapports se sont tendus, car il sait qu’elle cherche à lui faire comprendre qu’il a mal agi avec Marie sans oser le lui dire ouvertement.
« Mais de quoi tu parles ? »
Il s’en veut d'avoir répondu aussi sèchement et prend un ton conciliant pour continuer :
« Écoute, je suis en train de bricoler dans le garage, et ça passe mal. Je te rappelle dans quelques minutes si tu veux ? »
Sa mère s’excuse de l’avoir dérangé et raccroche, bien consciente qu’il ne la rappellera pas aujourd’hui.
Nouveau soupir. Même si Eric et Suzie ont su se montrer convaincants, pourquoi a-t-il accepté de participer à cette manifestation hier ? Il connaît très bien une partie de la réponse, qui l’agace profondément : comme souvent, sa timidité l’a empêché de refuser. Par contre, il n’ose pas s’avouer qu'il avait besoin d'y être, de se sentir entouré et de voir que d'autres partagent sa détresse, car la peur de ne laisser derrière lui qu’une moto béquillée au bord d’une route comme dernier signe de vie le terrorise. Et comme pour le lui cracher à la figure, son visage se retrouve en première page du journal.
Peut-être est-ce un signe après tout. C’est ce que lui a chuchoté une voix dans sa tête, et Ben a cru entendre sa mère, mais il a reconnu sa propre voix, ou plutôt celle qui lui répond quand il réfléchit trop ou qu'il a un coup de blues. De toute façon, elle s’est tue au bout de quelques secondes. Il ne la laisse plus parler depuis qu’il a compris que chacune de ses interventions provoque l’apparition de la créature au pelage noir corbeau et à la gueule hérissée de lames de rasoir qui ronge le bois de la vieille charpente dans les combles la nuit, juste au-dessus de sa tête. Il ne l’a jamais aperçue ailleurs que dans ses pires cauchemars, même si depuis le départ de Marie, il l’entend régulièrement ramper sous son lit, ses griffes trop longues grinçant sur le parquet.
Une fois, il a osé se pencher sous le matelas pour regarder. Il s’est alors retrouvé face à deux braises incandescentes flottant dans les ténèbres de leurs orbites sans fond. Il s’est réveillé en sueur, le cœur martelant dans la poitrine comme une pompe qui tourne à vide. Le drap remonté jusque sous le menton, il est resté au milieu du lit, incapable de simplement tourner la tête, et surtout sans aucune intention ni raison valable de le faire. De toute façon, de telles créatures n’existent pas dans le monde réel, alors à quoi bon vérifier ? Il n’a plus l’âge pour ces bêtises.
*****
Un autre extrait, d'un autre texte :
Fabien se souvient…
La chaleur se fait un peu plus pesante à chaque plongeon des gosses du voisin dans leur piscine juste de l’autre côté de la haie de lauriers qui sépare les deux terrains. Les éclats de voix et les rires trop forts des parents et de leurs amis, dus à un apéritif bien entamé, résonnent jusqu’à chez lui. Un soleil de plomb chauffe à blanc un ciel sans nuage. L’odeur des barbecues qu’on allume se mélange à celle du gazon tondu. C’est un de ces samedis d’été parfaits dans un lotissement de banlieue, idéal pour qu’une grande dame encapuchonnée de noir qui s’aide de sa faux pour marcher remonte la rue et s’invite chez vous.
Oui, Fabien se souvient. Les images surgissent dès qu’il aperçoit les branches de l’abricotier quand il remonte l’allée du lotissement, ou lorsqu’il sort sur la terrasse et que les taches sombres de la marinade sur le sol attirent son regard. Le pire a été la première fois qu’il a voulu remettre en route l’arrosage à l’arrière de la villa. En fait, il n'y est pas allé. Tant pis si le gazon crame au soleil. Qu'il crève.
Oui, Fabien revoit chaque image et entend chaque cri avec une netteté qui lui donne la chair de poule. Peu importe qu’il fixe le plafond de la chambre au milieu de la nuit ou qu’il ferme les yeux pour oublier. Malgré la chaleur nocturne, le lit reste froid car Marion n’est pas avec lui.
Et il se souvient. La tondeuse manque de caler à plusieurs reprises. Il est dans la cuisine à ce moment-là, et il sourit en imaginant Marion dans sa salopette en jeans trop grande, celle qu’elle ne met que pour bricoler, en train de maugréer et de jurer à chaque raté du moteur.
« Tu viendras tondre le mien après ? l’a chambrée le voisin depuis sa terrasse.
- Et toi, a répondu Marion du tac-au-tac en criant pour se faire entendre, tu viendras faire la vaisselle quand mes invités seront partis ? »
Ce qui a provoqué un éclat de rire général de l’autre côté de la haie.
Vu d’où vient le bruit du moteur, Marion doit se trouver sur la partie haute du terrain, juste à côté de l’abricotier, un arbre planté une quinzaine d’années auparavant par les anciens propriétaires.
« Tu verras, on installera un hamac en dessous et on pourra y faire des trucs ! » avait-elle dit en appuyant la paume de sa main contre le tronc comme pour en éprouver la solidité.
Elle portait une fois de plus sa salopette fétiche. Fabien avait souri, se gardant bien de lui rappeler qu’un hamac doit être fixé à deux arbres. À la place, il l’avait poussée dans l’herbe -
bon sang, le gazon était déjà haut, il l’a toujours été à cet endroit, alors pourquoi a-t-elle voulu le tondre, hein ?-, elle avait ri et ils s’étaient amusés à se chatouiller comme deux gosses avant que leur jeu prenne une tournure beaucoup plus adulte.
L’abricotier… Quelques-unes de ses branches se déploient à hauteur du visage. Fabien s’est juré de les tailler un jour. Il en a assez de se contorsionner pour faire passer la tondeuse en-dessous car quand il tend un peu trop le bras, la main glisse à un moment ou à un autre, les doigts s’ouvrent, laissant remonter la petite manette de la sécurité et…
Voilà ce qui doit arriver à l’instant, car le moteur s’arrête d’un coup. Ou c’est encore une touffe d’herbe épaisse qui a freiné la lame, voire un de ces petits monticules de terre qui moutonnent au pied du tronc à cause des racines. Fabien lui a répété que le gazon peut attendre, que ce n’est pas gênant de le laisser plus haut que d’habitude car cela évite à la terre de se dessécher, et qu’il le tondra un soir de la semaine prochaine avant de brancher l’arrosage pour la nuit, mais Marion n’a rien voulu savoir. Trois de ses collègues de bureau viennent manger à la maison demain, donc tout doit être parfait, propre, tiré à quatre épingles, et quoi de plus négligé qu’un gazon mal tondu ?
Fabien se revoit traverser le salon, avec à la main une assiette remplie de brochettes qu’il vient de préparer. La fraîcheur du carrelage rafraîchit délicieusement ses pieds nus. En sortant sur la terrasse, il réalise combien la chaleur est étouffante. Le store, pourtant tiré depuis bonne heure, ne fait qu’emprisonner un air déjà immobile. Fabien n’a pas fait deux pas à l’extérieur que de fines gouttes de sueur perlent à son front et dans le creux de son dos. Il se figure alors Marion dans sa salopette. Comment fait-elle pour la supporter ? Surtout qu’à l’instant même, elle doit s’acharner sur le cordon du démarreur sans réussir à faire cracher la moindre étincelle à la bougie.
Il sourit car si le moteur ne redémarre pas, elle va l’appeler à la rescousse de sa voix d’enfant gâté qui ne s’est pas vu offrir le bon jouet. Cette manière qu’elle a de faussement bouder pour obtenir ce qu’elle veut de lui est une des choses qui le font craquer chez elle. Mais une fraction de seconde plus tard, ce n’est pas cette voix-là qu’il entend. Des hurlements de terreur jaillissent de nulle part. Les rires des voisins meurent d'un coup. Même les gosses semblent s'être pétrifiés dans la piscine. Les cris déchirent le silence qui s’est soudain abattu tout autour. Avec le recul, Fabien se dit qu’il a mis une éternité à comprendre qu’ils viennent de derrière sa propre villa, juste à côté de l’abricotier, là où Marion...
L’assiette explose contre le béton de la terrasse quand il la laisse filer entre ses doigts. Complètement paniqué, il s’élance à toute vitesse, et lorsqu’il tourne à l’angle de la maison…
« Vous ne devez pas culpabiliser, dit le gendarme. Tout est arrivé beaucoup trop … »
Il ne termine pas sa phrase, conscient que quelque soient les mots, ils ne changeront rien. Il pose sa main sur l’avant-bras de Fabien pour l’inviter à s’asseoir à la table de la terrasse.
« Je suis désolé de vous demander cela, mais il y a des papiers à remplir, vous comprenez ?
- Oui » répond Fabien, incapable de quitter du regard le drap blanc qui recouvre le corps à côté de la haie et le petit escabeau servant pour la cueillette renversé sous l’abricotier.
Ses lèvres s’ouvrent, puis se referment dans un soupir. Il se tourne vers le gendarme et le regarde droit dans les yeux.
« J’aurais dû tondre le gazon » articule-t-il d’une voix morte.
C’est la même phrase qu’il murmure quelques jours plus tard dans le cimetière alors que les gens se passent le goupillon pour faire le signe de croix au-dessus du cercueil. La pluie tombe à grosses gouttes, tambourinant la plus funeste des musiques sur la laque du couvercle. De petites plaques de terre emportées par l’eau se détachent du bord du trou pour aller se mêler à la boue du fond.
« C’est de la vraie chiasse ! » dirait Marion de sa voix d’enfant gâté.
Fabien ne peut retenir un sourire alors qu’il croit l’entendre -
il l’entend. Il est heureux qu’il pleuve. Marion adore la pluie, source de vie et meilleure amie du soleil, car sans elle, tout ne serait que désert aride. Oui, la pluie, c’est la vie. Voilà ce qu’explique Marion, imperturbable optimiste, à qui veut l’écouter. Mais Fabien sait que cette pluie est sa pénitence. Rien n’est plus froid qu’une averse d’été qui transperce les vêtements pour pénétrer jusqu’aux os.
Qu’elle le lave.
Qu’il souffre.
Qu’il en soit ainsi.
Voilà pourquoi il s’est écarté de tous ceux qui lui ont tendu un parapluie ou ont cherché à l’abriter. Ses vêtements détrempés n’ont plus de forme et l'eau qui ruisselle sur sa figure masque le fait qu’il ne pleure pas. Lorsqu'un violent coup de tonnerre fait vibrer le vitrail d’un caveau tout proche, il lève la tête pour offrir un peu plus son visage à la pluie.
« Ouvre grand ton coeur, murmure-t-il au ciel, elle rentre à la maison. »
Une main se glisse dans la sienne. Sans dire un mot, sa mère désigne le couple de voisins. Entourés de leurs proches, ils attendent à quelques mètres sous le dôme de ténèbres de la forêt de parapluies au-dessus d’eux. En s'avançant, Fabien constate combien leurs visages sont éteints. Leur regard, tout compatissant qu’il est, lui transperce le coeur. Il se contente de leur serrer la main en esquissant un sourire qui se veut plein de réconfort, mais à peine s’est-il détourné que la nausée monte en lui. Il réussit à tenir quelques minutes, le temps que le cortège quitte le cimetière, puis il part vomir derrière un monument.